– En Californie, on vaccine 400 000 personnes par jour et les gens râlent parce que ça ne va pas assez vite. Joe Biden a prévu d’en finir avec la vaccination le 4 juillet, jour de la Fête nationale. Et en Suisse?
– La priorité a été donnée aux plus aînés et aux vulnérables, qui sont les victimes directes et principales de la pandémie. Cette stratégie a un sens. Aujourd’hui, nous commençons à disposer d’évidences montrant que non seulement les vaccins préviennent les infections graves et sauvent des vies, mais permettent de réduire, voire de prévenir la transmission. Il convient donc en effet à ce stade de prévoir une vaccination massive de toutes les catégories d’âge. Malheureusement, nous sommes totalement dépendants des doses de vaccins à disposition. Ainsi, pour l’instant, il est inutile de prévoir des «vaccinodrômes» géants alors que nous ne disposons pas de doses en suffisance.
Didier Pittet s’est rendu célèbre en tant que spécialiste de l’hygiène des mains et du contrôle des infections. En 1995, il a découvert que la friction hydroalcoolique est plus efficace que le lavage des mains à l’eau et au savon pour lutter contre les maladies nosocomiales. Il est l’inventeur du gel hydroalcoolique. François Wavre | lundi13
– Ne sommes-nous pas trop tolérants avec nos autorités, qui n’ont que trop lambiné en comparaison internationale?
– Il est vrai que la Suisse n’est pas un modèle en termes de campagne de vaccination. Le mécanisme d’approbation des vaccins et des médicaments en général y est parfois plus sûr, mais plus lent qu’ailleurs. Aux Etats-Unis, certains organismes, tel le Barda, qui dispose de moyens phénoménaux, permettent une collaboration plus étroite entre les agences de validation des médicaments et les industries produisant ces médicaments, avec parfois des relations que certains qualifieraient de conflits d’intérêts dans certaines circonstances. En cela, on ne peut pas comparer les Etats-Unis et la Suisse. La Suisse semble avoir parié sur les bons vaccins, mais certains tardent à être homologués.
– Bien que l’OMS affirme que le vaccin d’AstraZeneca ne représente aucun danger avéré, les problèmes qu’il rencontre tombent au plus mauvais moment. Des scientifiques norvégiens affirment que la réaction immunitaire qu’il provoque est la cause de la mort d’un patient…
– A ce stade, je serais beaucoup moins affirmatif. De nombreux traitements provoquent à la fois des problèmes de coagulation et de fluidification du sang, causant des thromboses, des hémorragies, puis une embolie. A ma connaissance, il n’y a pour l’instant pas de preuve formelle que la réaction immunitaire générée par ce vaccin soit réellement la cause du problème.
– Une autre question agite le monde: la vaccination des femmes enceintes, à laquelle s’est opposé un célèbre professeur israélien avant d’être minorisé et de claquer la porte du conseil scientifique de son pays…
– C’est une question délicate, en effet. Les avis sont très partagés au sein de la communauté scientifique. Personnellement, j’ai été témoin d’un drame, en Angleterre, où une femme a été victime du covid au cours de sa 25e semaine de grossesse. Elle a passé cinq jours en soins intensifs, avant d’être intubée et de subir une césarienne, donnant naissance à un bébé grand prématuré. Dans ce cas, le vaccin aurait sans doute été d’un précieux secours.
– Vous êtes acquis au passeport vaccinal, j’imagine…
– Totalement, bien sûr. Ce n’est pas nouveau, nous en parlons depuis bientôt un an. Mais appelons-le certificat sanitaire plutôt, car tant le mot passeport que le mot vaccinal ne correspondent pas à la réalité. Un passeport, au même titre qu’une carte d’identité, est un document que tout le monde doit posséder en permanence alors que le certificat dont on parle s’éteindra en même temps que la pandémie. Ce n’est pas non plus vaccinal puisqu’il existe trois façons de démontrer que l’on ne met pas son entourage en danger. Par la vaccination certes, mais également via un test PCR effectué dans les 72 dernières heures ou par un test sérologique prouvant que vous avez développé des anticorps qui vous protègent contre la maladie et vous évitent de la transmettre.
– Certains économistes prédisent que, en rendant ce certificat obligatoire, tout ce qui a trait au tourisme et à l’événementiel perdra la moitié de sa clientèle…
– Ces gens ont très mal compris. C’est tout le contraire. Seul un retour à la confiance et à la sécurité est susceptible de faire redémarrer ces secteurs. Je viens de le constater auprès d’une compagnie active dans les croisières. Le sport d’élite est un autre exemple. Les coureurs du Tour de Romandie seront, par exemple, placés dans une bulle, si je puis dire, ce qui permettra à l’épreuve de se dérouler.
– Sauf que les coureurs n’ont pas besoin de payer entre 100 et 150 francs le test PCR pour pouvoir rouler…
– Les tests sont ou seront bientôt gratuits pour tout le monde en Suisse. C’est imminent. Et logique. Nous devons tester beaucoup plus. Tout indique que pour une personne testée positive, il y en a deux qu’on ignore. Aujourd’hui, nous testons 30 000 personnes par jour. Il faut en tester au moins 100 000 si on veut s’en sortir. Les gens doivent absolument jouer le jeu.
– Ils ne le jouent pas, selon vous?
– Si, mais pas suffisamment. La preuve avec la remontée des contaminations. Trop de personnes attendent d’avoir développé les symptômes avant de se faire tester. Ou n’y vont carrément pas pour éviter la quarantaine. Il faut à tout prix changer ces comportements, sinon on va se faire surprendre comme à l’automne dernier. Je comprends la lassitude de tout le monde, mais ce n’est pas le moment de se relâcher.
– N’êtes-vous exagérément pessimiste?
– Pas du tout. Voyez-vous, un collègue infectiologue français vient de réaliser une étude prospective très réaliste consistant à reproduire un mariage réunissant 150 personnes dans les mêmes conditions qu’il y a dix-huit mois. En fonction de l’âge des participants et des données que nous connaissons aujourd’hui, sa conclusion est claire: dans trois mois, ce mariage serait la cause de 26 décès. Je crois que tout est dit.
– Pour en revenir aux vaccins, ce cafouillage grotesque n’est-il pas emblématique d’un problème plus profond, celui d’avoir concédé des pouvoirs exorbitants à l’industrie pharmaceutique, de lui avoir confié notre santé, en somme?
– La politique de retour sur investissement à tous crins aux dépens de la solidarité et de l’équité a des effets catastrophiques. A l’exemple des Etats-Unis, ce pays où la proportion du PIB attribuée à la santé par habitant est la plus élevée du monde et où le virus a le plus tué. Ce modèle économique est aberrant. On marche sur la tête. Tout le monde hurle au sujet des vaccins, non disponibles en assez grande quantité. Personne ne remet en cause leur mode de production centralisé, leur licence privative, personne ne défend leur mise dans le domaine public pour le bien de l’humanité. Encore une fois, l’économie passe avant la santé. La crise covid ne nous aurait-elle rien appris?
Kelly
Je partage quand même cet article même si je ne suis pas d’accord avec tout ce qu’il dit. Je vous laisse faire votre propre opinion.